Cette journée est montée crescendo au fil des heures. Avec mon expérience "touristique" un peu décevante de la veille, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Je monte dans la voiture et retrouve 2 femmes suisses à la retraite. L'une a froid, il faut retourner à leur hôtel pour qu'elle prenne des vêtement plus chauds. Ça commence bien...
En route, direction le datsan (= temple) d'Ivolga, le plus important temple boudhiste de toute la Russie. La Bouriatie est le carrefour de 2 religions : au nord, le chamanisme, au sud, le boudhisme. Ce dernier, importé du Tibet, a su intégrer les rîtes et coutumes chamaniques pour s'étendre plus largement, si bien que la plupart des bouriates pratiquent à la fois le culte chamanique et boudhiste. Ce datsan est comme un petit village. On s'y promène dans le sens du soleil, par la gauche. On y retrouve des moulins à prières un peu partout, plusieurs temples, et plein de maisons en bois. Ces dernières sont les maisons de consultations des lamas aux spécialités diverses. Quiconque peut prendre rendez-vous avec un astrologue ou un guérisseur par exemple, ce sont les plus demandés. Une profusion de couleurs magnifiques dans le temple principal qui est pratiquement vide, les cérémonies se déroulent principalement tôt le matin. (J'ai donc eu particulièrement de la chance avant-hier d'assister à la cérémonie dans l'autre datsan !). "Quelle est la place des femmes dans le boudhisme ?" Le guide de répondre en rigolant : "elles sont là pour servir les hommes !" Je n'aurai pas d'autres réponses. Il faut dire que le guide, un 100% bouriate comme il dit, mérite bien l'appellation de macho grosse tête. Il prend plaisir à raconter qu'il est le guide de Poutine quand il se rend dans la région, qu'il a été l'interprète de Nicolas Vannier (tout de même chapeau ! Il parle un français parfait), qu'il adore les bonnes parties de chasse. Les filles, la biche, mais aussi le loup et même l'ours. Selon lui, depuis qu'ils n'ont plus le droit d'utiliser de poison pour tuer les loups (merci pour eux !), ces derniers ont proliféré dans la région et l'état paie jusqu'à 300 dollars pour une louve. Pour l'ours, il me semble en toute illégalité, c'est 10 000 dollars sur le marché asiatique... triste réalité.
Un peu plus tard, découverte d'un magnifique point de vue sur la Selenga qui alimente le Baïkal. Des plaques de glace ont commencé à se former. J'ai aperçu sur le chemin des hommes qui pêchaient dans des trous dans la glace. Les couleurs d'automne sont éclatantes. L'immense Sibérie a tellement de trésors !
Aller, on change de cap et direction Bolshoï Kounaleï, un village de vieux croyants. Ce village, on ne peut pas le louper, c'est le dernier sur la route. Au-delà, il n'y a plus que de la taïga. La communauté des vieux croyants est très importante en Sibérie. Ils ont choisi une branche différente de l'orthodoxie russe et se sont exilés en Sibérie. Ce sont d'excellents fermiers, et on avait besoin d'eux ici pour cultiver toutes ses nouvelles terres vierges. Depuis, ils ont gardé leurs traditions, leur folklore, leur mode de vie. Nous sommes attendues pour le dîner chez une de ces familles. Ils ont enfilé leurs costumes traditionnels très colorés pour l'occasion et préparé des tas de bonnes choses toutes faites maison avec des produits locaux. La tradition d'hospitalité est très importante ici, et c'est simple, la table est recouverte de toutes sortes de mets délicieux de façon à ce qu'on ne puisse plus voir la nappe. La famille qui nous accueille est composée de la grand-mère et du grand-père, de la fille et du petit fils Andrioucha. Ils sont visiblement très fiers de nous recevoir et nous observent manger scrutant nos moindres appréciations. Voilà pour moi enfin l'occasion de manger de ce fameux Omoul, ce poisson du baïkal dont tout le monde parle. C'est une sorte de saumon et c'est effectivement délicieux. Pour le sucré, il y a bien sûr des blinis à tremper dans du miel pur, de la confiture de framboise, des airelles... Malheureusement, quel dilemme, c'est impossible de goûter à tout ! Cette famille fait partie d'une troupe de musique traditionnelle, ce qui lui a déjà valu de parcourir le monde et notamment les Etats-Unis et la France. Ils se lèvent et de l'autre côté de la table, le spectacle commence, à capela. Ils chantent d'une voix forte à donner des frissons. C'est toute la dureté du climat qui ressort de ces chansons tristes. Le papy a bien repéré que je comprenais un peu ce qu'il disait. Il me demande de les rejoindre. En l'espace de 2 minutes, je me retrouve avec l'habit traditionnel. Je ne suis pas assez grosse à leur goût pour remplir le costume. Normalement, les belles-filles sont choisis bien dodues car "plus robustes" ! C'est pas grave, je ferais l'affaire dans la comédie musicale qui va se jouer. Je suis la fille à marier et celui qui me courtise est le papy. C'est une bonne partie de rigolade et la complicité est très touchante et amusante... Je serais bien restée quelques jours dans cette famille attachante, mais il faut partir, la tempête de neige a commencé et nous sommes au milieu de nulle part. Dans la cour, le papy me retient par le bras et m'embrasse sur ma joue discrètement... le coquin ! Le chemin du retour est long car c'est une vraie patinoire. Je prends le temps de discuter avec les 2 suisses. Elles sont elles-aussi sous le charme de cette famille de vieux croyants. Elles me font rire... Au final, je ne peux qu'admettre que ce genre de rencontre est un bijou offert grâce à Svetlana. Difficile de provoquer des rencontres avec ce genre de personnes par soi même... mais pas impossible... quand j'aurai un meilleur russe...